Mais comment taire mes commentaires ? (1999)
C’est une angoissante question car, c’est vrai, je parle trop. D’ailleurs, le pays qui, il me semble, m’apprécie le mieux est l’Allemagne dont je ne parle pas la langue. Cependant la situation n’est pas vraiment désespérée et ce livre doit permettre de réaliser comment, en quarante ans, mes commentaires ont perdu progressivement leur sérieux et tendent maintenant à perdre leur sens sinon leur existence.
J’ai d’abord pensé utiliser : jeux de mots, à-peu-près, calembours et autres contrepèteries, pour donner plus d’attrait ou de force à la présentation de mes idées. Puis ainsi, j’ai été amené à privilégier les idées qui me permettaient de jouer avec les mots de leurs exposés. L’étape finale est arrivée quand je suis devenu « accro » au plus redoutable des jeux de mots : le palindrome. Je dois rendre hommage en passant à André Thomkins et à Georges Perec qui, avant moi, ont passé des jours et des nuits à réaliser ces phrases dont le seul mérite, la seule justification, est de pouvoir être lues dans les deux sens. La difficulté, dont les non-initiés ne peuvent se rendre compte, est telle que l’on est amené à se satisfaire de phrases dont le « message » est pour le moins « pas très clair » sinon absent.
J’ai ainsi trouvé pour l’écriture un système rigoureux et absurde très proche de ceux que j’ai un grand plaisir à appliquer à la peinture. J’ai même ajouté, à la contrainte inhérente aux palindromes, celle du choix d’un mot (« art ») apparaissant dans chacune des « pseudo-phrases ». Aidé par mon fils Friquet, nous avons sélectionné 111 (chiffre « palindromique ») palindromes où il est question, dans les deux sens, de l’art.
On peut être assuré que se trouve là l’essentiel de ce que l’on peut écrire sur l’art… en palindromes, bien évidemment.
Publié en 1999 dans la première édition de Mais comment taire mes commentaires, François Morellet, École nationale supérieure des beaux-arts, Paris.