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BarocKonKret (1994)

En 1961, à Munich, la charmante mère de mon ami Gerhard von Graevenitz me fit un compliment qui me laissa perplexe pendant de nombreuses années : « Vos trames sont si merveilleusement rococo. » Ma perplexité un peu trop visible (moi, qui rattachais alors mes trames aux « arabesques » hispano-mauresques) la chagrina, me confia son fils. Aujourd’hui, malheureusement trop tard, puisqu’elle et Gerhard ont disparu, je veux m’excuser et lui rendre hommage.

Je connaissais en fait les « rocailles françaises » ou le baroque italien qui étaient pour moi, il y a trente-cinq ans, plutôt des « repoussoirs ». Et aujourd’hui je ne suis pas encore tombé sous le charme des Boucher, Bernini ou Rubens.

Mon coup de foudre, je l’ai en fait reçu très tard, il y a peut-être une quinzaine d’années, quand je suis tombé sous le charme entre autres de Wies, Ottobeuren ou Vierzehnheiligen en Allemagne, Stams, Melk ou Altenburg en Autriche, à l’occasion de merveilleux voyages en zig-zag parmi les églises baroques et rococo. Cela m’a permis d’apprécier le compliment de madame Graevenitz et de trouver avec elle que certaines de mes « trames » et de mes 40000 carrés des années soixante ont bien un air rococo.

Bien plus, j’ai même maintenant la prétention de trouver baroque la plupart des œuvres et installations que j’ai réalisées depuis la fin des années soixante-dix.

Quelles sont donc les qualités de cet art baroque de Bavière-Autriche (pour simplifier) qui me plaisent tant et que j’essaye de transposer dans mon travail ?

Un humour, une frivolité, une joie de vivre, que l’on ne peut trouver dans aucune église occidentale à ce degré.

Donc, des jeux formels libérés de tout message, des saints qui se contorsionnent et quittent leur piédestal en jouant avec leur auréole.

Un irrespect merveilleux également envers l’architecture, avec ces déséquilibres savants, ces volumes, qui se répondent en ignorant et cassant toute symétrie. Si bien qu’une architecture quelconque peut-être « baroquisée » avec la même désinvolture et la même réussite. 

Un mélange de genres complet. Les frères Zimmermann à Wies ont tenu à la fois les rôles d’architectes, de peintres, de virtuoses en stuc et de sculpteurs. 

Une clarté éblouissante et réjouissante de blanc, de doré et des couleurs lumineuses. 

S’il existe un point où je pourrais encore me sentir un peu éloigné de l’art baroque, c’est peut-être cette horreur du vide. Cette profusion que l’on donne souvent à tort (à mon avis) comme la caractéristique essentielle de cet art… et qui d’ailleurs me semble… de plus en plus attirante.

Publié dans Morellet BarocKonKret (cat. d’exp.), Vienne, Heiligenkreuzerhol/Hochschule für angewandte Kunst in Wien, 10 mars-15 avril 1995, pp. 9, 11.

Repris dans François Morellet : ordres et cahots (cat. d’exp.), Fréjus, Le Capitou, Centre d’art contemporain, 3 juillet-24 septembre 1995, p. 74.