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Pour une peinture expérimentale programmée (1962)

Il y a des milliers de chefs-d’œuvre dans les musées.

Il y a des milliers de peintres de talent qui s’adaptent avec succès au goût du jour pour un immense public.

Sans arrêt, les écoles se succèdent, sachant choquer, plaire ou amuser.

Il serait fou et hypocrite de se révolter contre une situation aussi florissante des arts plastiques.

On peut cependant seulement s’étonner de l’absence presque totale d’une peinture réellement expérimentale dans ces kilomètres de chefs-d’œuvre et ces kilos d’études s’y rapportant.

On ne peut en effet parler d’expérience réelle et contrôlée pour toutes ces œuvres.

Leurs auteurs, soit s’identifient à elles, les considérant comme une manifestation incontrôlable de leur personnalité, soit, suivant un processus plus moderne, attachent une valeur primordiale à la découverte d’un nouveau procédé dont, une fois la paternité bien reconnue, ils répètent quelques variantes choisies arbitrairement.

Une expérience véritable doit par contre être menée à partir d’éléments contrôlables en progressant systématiquement suivant un programme.

Le développement d’une expérience doit se réaliser de lui-même, presque en dehors du programmateur.

Prenons un exemple : si l’on superpose des formes très simples (bonnes formes suivant la Gestalttheorie) et que l’on fasse varier les angles de superposition, toute une série de structures apparaît.

Ces structures parfaitement contrôlées et facilement recréables sont un matériau de choix pour des expériences esthétiques, matériau évidemment bien plus approprié qu’une quelconque œuvre intuitive, unique, ou même que des tests fabriqués par des psychologues.

Des programmes d’expériences d’un même esprit sont également applicables à la couleur et au mouvement, par exemple.

En résumé, cette peinture expérimentale programmée apparaît répondre à deux besoins : 

d’abord le besoin d’une partie du public qui veut prendre part à la « création » des œuvres, qui veut démystifier l’art et désire comprendre un peu mieux, 

ensuite le grand besoin en nouveaux matériaux des esthéticiens, ces hommes de science à la fois mathématiciens et psychologues qui, en partant des théories de la psychologie moderne (en particulier sur la transmission des messages), jettent les bases l’une nouvelle science de l’art.

Publié dans Groupe de recherche d’art visuel (plaquette), Paris, Galerie Denise René et le GRAV, 1962, n. p.