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Esthétique électrique et pratique éclectique (1991)

Avant de commencer ce petit historique sur les relations qu’il y a pu avoir entre mon art et l’électricité, je propose d’abord un coup d’œil très superficiel sur mes motivations les plus profondes.

J’ai cru en Dieu jusqu’à l’âge de vingt ans, puis au progrès jusqu’à quarante ans, puis. . . à plus rien du tout.

Mes premières « œuvres électriques », qui ont été réalisées vers l’âge de trente-sept ans, sont donc à peu près garanties sans transcendance ; elles ne glorifient ni Dieu ni la fée électricité et n’ont qu’effleuré ces sciences d’avenir telles que la cinétique, la cybernétique, l’informatique ou même, tout bonnement, les mathématiques. Ces « œuvres électriques » sont à classer, comme toutes mes œuvres depuis une trentaine d’années, dans le genre « ironiquement formel » ou même « formellement ironique ». Elles ont cependant, à l’intérieur de cette grande famille, utilisé l’électricité de façons bien différentes.

Tout d’abord, en gros, de1963 à 1975, je me suis surtout intéressé à jouer avec le temps, c’est-à-dire à créer « du mouvement », soit grâce à des moteurs, des clignoteurs ou des programmateurs (qui utilisaient d’ailleurs aussi des moteurs électriques).

En ce qui concerne les œuvres sans lumière, je citerai les deux seuls exemples que j’ai réalisés.

D’abord, les « grilles se déformant », aux mouvements très lents qui amènent une infinité de situations différentes dans les superpositions de réseaux de lignes parallèles.

Et puis, à l’opposé : les « interférences avec mouvement ondulatoire », où des moteurs très rapides font tourner à grande vitesse des fils lestés d’un plomb et créent ainsi des colonnes sinusoïdales qui paraissent immobiles, mais se déchaînent confusément dès qu’on touche le fil, pour sembler se figer à nouveau après quelques secondes.

Quant aux pièces lumineuses, je leur ai le plus souvent appliqué un de mes systèmes favoris que j’ai appelé, plus ou moins correctement, « l’interférence ». Et cela, grâce au début à de primitifs clignoteurs mécaniques.

Des groupes de lampes où, le plus souvent, des éléments de néon étaient éclairés puis éteints à des rythmes réguliers mais avec des vitesses légèrement différentes. Si bien que les éclairages des deux, trois ou quatre (jamais plus) groupes étaient vus, soit décalés, soit à l’unisson. Avec deux rythmes, l’effet était très brutal et simple, avec quatre rythmes, la complexité était à la limite de la compréhension.

A la même époque, je me suis également amusé à faire apparaître, grâce à des combinateurs mécaniques, eux aussi grossièrement bricolés, une succession de formes et de lettres en néons, fixées sur trois panneaux. Le hasard semblait commander ce défilé rapide et confus d’images. Mais mes moyens techniques ne me permettant pas alors d’utiliser un vrai système aléatoire, ce n’était donc qu’une parodie de hasard qui faisait se succéder irrégulièrement les formes géométriques et les quatre mots CUL – CON – NON – NUL.

Au milieu des années soixante-dix, j’ai abandonné mes néons rythmés ou programmés pour revenir à mes tableaux, mais en m’intéressant cette fois-ci beaucoup plus à ce qui se passait autour d’eux qu’à ce qui se passait dedans. C’était le début de mon époque baroco-minimaliste.

Par la suite, dans les années quatre-vingt et jusqu’à aujourd’hui, j’ai repris goût aux néons, mais en les faisant jouer avec l’espace plutôt qu’avec le temps.

Souvent accouplés à des tableaux blancs, carrés, épais, déséquilibrés, ils suggèrent par une ligne ou un angle lumineux, immatériel, la direction ou le plan idéal que le tableau a perdu.

Mais il leur arrive aussi de parasiter tout seuls les murs et particulièrement les angles des murs, créant des espaces baroques, repliés et absurdes.

J’allais oublier de mentionner que mes néons, depuis qu’ils se sont débarrassés des encombrants clignoteurs et programmateurs, n’ont plus honte des fils électriques et des transformateurs qui font partie maintenant, à part entière, de l’œuvre.

Cette histoire électrique me semble bien longue et j’ai peur que le lecteur qui a eu le courage de me lire jusqu’ici soit aussi fatigué que moi. Je coupe donc le courant, réservant pour une autre fois l’histoire des périlleux combats de mes néons contre diverses architectures.

Publié dans Bulletin d’histoire de l’électricité (Paris), n°17, juin 1991, pp. 21-26